Le siècle d'Auguste

Publié le par Aleta Alekbarova

Omnium prouinciarum populi Romani quibus finitimae fuerunt gentes quae non parerent imperio nostro fines auxi. Gallias et Hispanias prouincias, item Germaniam, qua includit Oceanus a Gadibus ad ostium Albis fluminis pacaui. Alpes a regione ea quae proxima est Hadriano mari ad Tuscum pacificaui nulli genti bello per iniuriam inlato. Classis mea per Oceanum ab ostio Rheni ad solis orientis regionem usque ad fines Cimbrorum nauigauit, quo neque terra neque mari quisquam Romanus ante id tempus adit.
Res Gestae diui Augusti, 26

J'ai agrandi le territoire de toutes les provinces du peuple romain voisines de nations qui n'obéissaient pas à notre pouvoir. J'ai pacifié les provinces des Gaules et des Espagnes, ainsi que la Germanie, selon les limites de l'Océan, de Cadix à l'embouchure du fleuve Elbe. J'ai fait en sorte que les Alpes, de la région la plus proche de la mer Adriatique à la mer Tyrrhénienne, soient pacifiées sans mener de guerre injuste contre aucune de ces nations. Ma flotte a navigué à travers l'Océan, de l'embouchure du Rhin vers l'est jusqu'au territoire des Cimbres, là où aucun Romain n'était allé jusqu'alors, que ce soit par terre ou par mer...
Actes du divin Auguste, 26 ( trad. par M. Dubuisson )

Imperator Caesar Augustus devint dieu déjà de son vivant. Sa gloire fut immense comme le mérite que l’on lui assignait : il entra dans la légende en tant que "jeune homme providentiel" qui, après avoir apporté une paix durable dans l’Italie déchirée par presque un siècle de guerres civiles, stabilisa l’ordre politique et social à Rome et restaura les anciennes moeurs et vertus. A sa mort, on parla du Saeculum Augustum et d’un âge d’or intellectuel.


Considéré à l’aune de l’image favorable laissée par son règne, le Princeps reste toujours, aux yeux de nombreux historiens, le symbole de la grandeur romaine, de la prospérité et de l’apogée culturel. Pourtant, certains spécialistes ne manquèrent pas de s’interroger sur la personnalité authentique du prince, dissimulée sous son masque de piété et de justice, et de remettre en cause la réalité de son nouveau régime, la manière dont il fut instauré et maintenu.


Les anciennes sources abondent en informations bouleversantes sur la carrière d’Auguste et son règne. Aussi constate-t-on avec quelque étonnement la froide ambition qu’il manifestait tout au long de sa lutte pour le pouvoir, et qui allait parfois jusqu’à une cruauté exceptionnelle. En effet, on sait que c’est en se servant du nom hérité de César, ainsi que, plus tard, de son auréole divine, qu’il acquit ses troupes et sa clientèle. Décidé à venger le dictateur assassiné, il déclencha une longue série de proscriptions afin d’éliminer les opposants au triumvirat et de confisquer les fortunes des riches Romains, ce qui lui permit de payer les dépenses de la future guerre contre Brutus et Cassius. Or, sa victoire ne mit pas fin à la terreur sanglante qui régnait alors en Italie. Un nouveau conflit, issu des expropriations qu’il avait entreprises pour assurer les terres italiennes à ses vétérans, rompit bientôt sa fragile alliance avec Lucius Antonius et Fulvie, le frère et l’épouse de Marc Antoine. La défaite des antoniens, dont de nombreux républicains, se montra lourde de conséquences tragiques : il suffirait de se souvenir de la destruction de la ville de Pérouse, l’un des derniers grands centres de la culture étrusque, mais aussi du sacrifice de trois cents chevaliers romains aux Mânes du divin César et dont les biens furent ensuite distribués aux soldats du vainqueur. Il faut noter qu’Octavien n’avait pas hésité, en vue de cette victoire, à recourir à une arme subversive qu’il savait manier par excellence : il avait fait répandre une pluie de rumeurs et d'épigrammes ayant pour but de ridiculiser ses ennemis ; l'une, particulièrement expressive, nous est rapportée par Martial (XI, 20) :

Quod futuit Glaphyram Antonius, hanc mihi poenam 
Fuluia constituit, se quoque uti futuam. 
Fuluiam ego ut futuam ! Quid si me Manius oret 
Paedicem, faciam ? non puto, si sapiam. 
Aut futue, aut pugnemus, ait. Quid ? quod mihi uita 
Carior est ipsa mentula, signa canant.

Parce qu’Antoine a baisé Glaphyra, voici le châtiment auquel m’a condamné Fulvia : que je la baise aussi. Que moi je baise Fulvia ? Alors si Manius me demandait de le sodomiser, il faudrait que le fasse ? Avec un peu de bon sens, sûrement pas. Baise-moi ou c’est la guerre, dit-elle. Que faire, puisque plus qu’à la vie je tiens à ma bite ? Sonnez, trompettes !

Ce n’était pourtant qu’un début, et son redoutable art de propagande eut l’occasion de se découvrir en toute sa puissance lors de son combat contre Antoine et Cléopâtre.


Il ne fait aujourd'hui guère de doute que c’est surtout à force d’une diffamation intense et méthodique, dont il s’appliquait à saturer l’opinion universelle, qu’Octavien réussit à imposer au peuple sa "campagne patriotique" contre "l'Egyptienne", qui fut en réalité une nouvelle guerre civile. La fameuse bataille d'Actium fait l’objet des querelles les plus animées à ce sujet, ainsi que de graves malentendus. A proprement parler, il ne s’agissait pas d’une bataille, étant donné qu’Antoine entendait uniquement rompre le blocus d'Agrippa. Attaquer l'adversaire en mer, attendre que l'escadre de la reine parvienne à sortir du golfe d'Ambracie, dégager ensuite le reste de la flotte - tel fut le plan qui, en somme, réussit si bien qu'un tiers des navires antoniens échappa à l'ennemi, emportant le trésor royal. Cependant, son armée comptait aussi les légions terrestres qu'il avait chargées de regagner l'Asie Mineure, et Octavien concentra sur elles son attention. Passant de division en division, il affirmait sans répit aux hommes que leur chef les avait abandonnés pour suivre sa reine... qui s'était lâchement enfuie en plein milieu de la bataille. Cette déformation des faits fut accompagnée de promesses de salaire et de terres en Italie. Les soldats tinrent bon pendant une semaine ; le huitième jour, ils cédèrent. Tout compte fait, c'est en cette immense perte que consistait la réelle défaite d'Antoine, causée plutôt par une contrevérité que par les armes, et qui entraîna la trahison de tous ses alliés. « De cette demi-victoire, dont le mérite revient surtout à Agrippa, l'idéologie augustéenne va faire le signe tangible de l'élection du Prince par les dieux », écrit Paul-Marius Martin dans son commentaire de la légende d'Actium (Antoine et Cléopâtre, chap. 8).


De là, il est légitime de se demander sérieusement s’il faut prendre à la lettre les témoignages des historiens qui ne pouvaient que reprendre la version imposée par le monarque. Il ne serait peut-être pas judicieux de croire à la métamorphose de cet homme sans scrupules en avatar de la vertu et de la clémence, ni à la sincérité de la comédie qu'il joua en -27, lorsqu’il affecta de renoncer au pouvoir et de ne le reprendre que contre son gré. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire pousse la critique plus loin ; selon lui, le prince aurait été « un fort méchant homme, indifférent au crime et à la vertu, se servant également des terreurs de l’un et des apparences de l’autre, uniquement attentif à son seul intérêt, n’ensanglantant la terre et ne la pacifiant, n’employant les armes et les lois, la religion et les plaisirs, que pour être le maître, et sacrifiant tout à lui-même ».


Bien entendu, la littérature n'occupait pas une mince place dans la propagande du nouveau régime. Plusieurs exemples attestent la présence d’une impitoyable censure qui aurait veillé à la conformité des oeuvres contemporaines avec les conventions de l’idéologie et la version officielle de l'histoire, tout en supprimant celles qui risquaient de les démentir, et éliminant même, si nécessaire, leurs auteurs. On mentionnera l'historien Titus Labienus dont le grand ouvrage fut brûlé par le sénat sur l'ordre du souverain, et qui finit par se suicider. Comment s’expliquer, en revanche, la faveur dont on distingua l’érudit Nicolas de Damas, cet ancien précepteur des enfants d'Antoine et de Cléopâtre et ce si loyal courtisan d'Hérode par la suite ? Toujours est-il qu’Auguste l'invita à rédiger une Histoire, et que la source primaire dont celui-ci se servit fut la propre biographie de l'empereur, De vita sua ; d’ailleurs, c'est bien lui qui contesta la filiation de Césarion, le fils aîné de la reine d'Egypte, à Jules César, tandis que le fils adoptif du dictateur s’y trouva porté aux nues...


Mais c'est la poésie qui servit de scène au drame le plus fascinant, à la lutte la plus acharnée.


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